Wednesday, June 6, 2012

Sans Mort, il n'est pas de Vie



Bonjour! Pas de vernis aujourd'hui, j'ai toujours voulu que ce blog ne soit pas que ça, mais c'est facile de tomber dans la routine et de toujours faire la même chose.
En avril dernier, la jolie et douée Bé fêtait le premier anniversaire de son blog, et la première "épreuve" du concours était un peu particulière. En effet, puisque le lot était composé de vernis A-England collection The Legend, il fallait conter une légende. J'avais déjà les vernis mis en jeu, donc j'ai laissé leur chance à d'autres, mais vous imaginez bien que l'idée me plaisait et j'ai décidé de partager avec vous une légende que j'affectionne.
Les contes et légendes ont bercé toute ma vie, depuis les histoires que mes parents me lisaient quand j'étais enfant (les Contes et Légendes du Monde, avec l'histoire d'amour de Popocatepetl et Sidlatepetl les volcans, ou la légende d'Ilmarinen et le Tsampo), aux livres tirés de la légende arthurienne que je dévorais assise par terre à la bibliothèque municipale le mercredi après-midi, je suis avide de ces fenêtres vers le passé, de ces morceaux de sagesse ancestrale qui se sont transmis à travers les siècles. Ce n'est pas un hasard si j'ai inclus dans mon travail de thèse de la mythologie et du folklore comparé... 
Alors comment pouvais-je choisir la légende dont j'allais vous parler? Ma première idée a été de voir chez les Celtes, avec la légende de Macha qui maudit les Ulates, ou celle de Connla fils de Conn. Mais j'ai réfléchi, et j'ai décidé de partager une légende plus "profonde", plus surprenante. Il y a plusieurs années de cela, ma maman m'a offert un livre qui m'a bouleversée, "Les femmes qui courent avec les loups" de Clarissa Pinkola Estes. L'auteure se définit comme une conteuse-psychologue, elle se sert de contes, qu'elle va chercher dans la sagesse populaire et auprès des rares conteurs qui existent encore de nos jours, pour soigner les maux de l'âme des femmes. Ce livre m'a profondément touchée car il m'a montrée que les chemins que j'avais pris instinctivement étaient les bons et que mon intuition était un guide sûr. Je ne peux que vous recommander ce livre, il est fascinant...
Dans ce recueil, C. Pinkola Estes rapporte un conte Inuit que je trouve d'une beauté étrange mais sublime, la Légende de la Femme Squelette, et c'est ce que je propose à présent.



Elle avait fait quelque chose que son père désapprouvait, mais dont personne ne se souvenait. Toujours est-il que son père l'avait traînée jusqu'à la falaise et précipitée dans la mer. Les poissons avaient mangé sa chair, dévoré ses yeux. Et elle gisait sous les eaux, son squelette ballotté par les courants.

Un jour, arriva un pêcheur. En fait, ils étaient plus d'un à pêcher à cet endroit, mais celui-ci avait été entraîné bien loin de chez lui et il ignorait que les pêcheurs des environs se tenaient à l'écart de cette crique, disant qu'elle était hantée.

Or, voilà que l'hameçon du pêcheur vint à se prendre dans les os de la cage thoracique de la Femme Squelette. "Oh, pensa le pêcheur, je tiens là une grosse prise !" Il imaginait déjà le nombre de personnes que ce magnifique poisson allait nourrir, combien de temps il durerait, combien de temps il lui permettrait de ne plus retourner pêcher. Alors, tandis qu'il se bagarrait avec ce poids énorme, la mer se mit à bouillonner, secouant son kayak comme un fétu de paille, car celle qui était sous la surface se débattait pour essayer de se libérer. Et plus elle luttait, plus elle s'emmêlait dans la ligne. Elle avait beau faire, elle était inexorablement tirée vers le haut, accrochée par les côtes.

Le chasseur s'était retourné pour rassembler son filet. Il ne vit donc pas son crâne chauve apparaître au-dessus des vagues. Il ne vit pas non plus les petites créatures coralliennes qui scintillaient dans ses orbites, ni les crustacés sur ses vieilles dents d'ivoire. Quand il se retourna avec son filet, le corps tout entier avait émergé et était suspendu à l'extrémité de son kayak par ses longues dents de devant.

"Aaaah !" hurla l'homme. De terreur, son cœur fit un bond terrible et ses yeux allèrent se réfugier à l'arrière de sa tête, tandis que ses oreilles devenaient cramoisies. Aaah !" Il lui asséna un coup de pagaie et se mit à pagayer comme un fou vers le rivage. Il ne s'était pas rendu compte qu'elle était entortillée dans sa ligne. Aussi semblait-elle le pourchasser, debout sur ses pieds. Il était de plus en plus terrifié. Il avait beau faire des zigzags, elle suivait, et son haleine dégageait des nuages de vapeur au-dessus de l'eau et ses bras se tendaient, comme pour se saisir de lui et l'entraîner dans les profondeurs.

"Aaaaaaah !" gémit-il en touchant terre. Il ne fit qu'un bond hors de son kayak et se mit à courir, sa canne à pêche serrée contre lui, avec sa ligne, le cadavre de corail blanc de la Femme Squelette derrière lui, toujours emberlificoté dedans. Il escalada les rochers. Elle suivit. Il se mit à courir sur la toundra gelée. Elle suivit. Il courut sur le poisson qu'on avait mis à sécher dehors, le réduisant en pièces sous ses mukluks.

Elle suivait tout du long. En vérité, elle s'empara au passage d'un peu de poisson séché et se mit à le manger, car il y avait bien longtemps qu'elle ne s'était nourrie. Enfin, l'homme atteignit son igloo, plongea dans le tunnel et rentra à l'intérieur à quatre pattes. Hors d'haleine, il resta là, à hoqueter dans l'obscurité, le cœur battant la chamade. Enfin en sécurité, oh oui, oui, grâce aux dieux, Corbeau, oui, merci Corbeau, et Sedna la toute-bienfaisante, en sécurité enfin...

Et voilà que, lorsqu'il alluma sa lampe à huile de baleine, c'était là, elle était là, recroquevillée sur le sol de neige, un talon par-dessus l'épaule, un genou contre sa cage thoracique, un pied sur le coude. Plus tard, il serait incapable de dire ce qui le poussa - peut-être la lueur du feu adoucit-elle ses traits, ou bien c'était le fait qu'il était un homme seul. Toujours est-il que la respiration du pêcheur se fit plus attentive, que, doucement, il tendit ses mains rudes et, avec les mots d'une mère à son enfant, il se mit à la désenchevêtrer de la ligne.



"Na, na..." Il commença par désentortiller la ligne de ses doigts de pied, puis de ses chevilles. "Na, na..." Il travailla jusqu'à la nuit, jusqu'à ce qu'il la vête de fourrures pour lui tenir chaud. Et les os de la femme Squelette étaient dans l'ordre qui convenait.

Il fouilla dans ses parements de cuir, prit son silex et se servit de quelques-uns de ses cheveux pour faire un supplément de feu. Tout en huilant le bois précieux de sa canne à pêche, et en moulinant la ligne, il la regardait. Elle, dans ses fourrures, ne disait mot - elle n'osait pas - de peur qu'il s'empare d'elle, la jette sur les rochers et la mette en pièces.

L'homme commença à somnoler. Il se glissa sous les peaux et bientôt se mit à rêver. Or parfois, dans le sommeil des humains, une larme vient à perler à leur paupière ; nous ignorons quelle sorte de rêve en est la cause, mais ce doit être un rêve triste, ou bien un rêve où s'exprime un désir. C'est ce qui se passa pour cet homme.

La Femme Squelette vit la larme briller à la lueur du feu et soudain, elle eut terriblement soif. Elle déplia ses os et se glissa vers l'homme endormi, puis posa sa bouche sur la larme. Cette unique larme fut une rivière à ses lèvres assoiffées. Elle but encore et encore, jusqu'à étancher la soif qui la brûlait depuis si longtemps.

Pendant qu'elle était allongée auprès de lui, elle plongea la main en l'homme endormi et mit au jour son cœur, ce puissant tambour. Elle s'assit et tapa sur les deux côtés du cœur : Boum, boum ! Boum, boum !

Tandis qu'elle jouait ainsi, elle se mit à chantonner : "De la chair, de la chair, de la chair !" Et plus elle chantait, plus son corps se couvrait de chair. Elle chanta pour une chevelure, elle chanta pour des yeux, elle chanta pour des mains potelées. Elle chanta pour une fente entre ses jambes, pour des seins longs, assez profonds pour tenir chaud, et tout ce dont une femme a besoin.

Et quand ce fut terminé, elle chanta pour ôter les vêtements de l'homme endormi et se glissa avec lui dans le lit, peau contre peau. Elle rendit à son corps le tambour magnifique, son cœur, et c'est ainsi qu'ils se réveillèrent, l'un et l'autre emmêlés d'une façon différente, maintenant, après la nuit passée, de bonne et durable façon.

Les gens qui ont oublié ce qui avait causé son malheur, au départ, racontent qu'elle s'en alla avec le pêcheur et qu'ils furent largement nourris par les créatures de la mer qu'elle avait connues durant son séjour sous l'eau. Cette histoire, disent-ils, est vraie, et ils n'ont rien à ajouter.

 

 Hi! Today's post will be a bit different, no polishes, and something that's long overdue. Back in April, Bé from Vernis en Folie celebrated the first birthday of her blog and when she proposed some A-England The Legend polishes, she asked for people to tell a legend. I already had the polishes so I didn't take part, but still, I like the idea of sharing a legend with you. After much thoughts and consideration, I chose one from Clarissa Pinkola Estes' book "Women who Run with Wolves", because it's a strange legend, at once beautiful and bizarre, not of the kind you often encounter. This is the Legend of the Skeleton Woman.





She had done something of which her father disapproved, although no one any longer remembered what it was. But her father had dragged her to the cliffs and thrown her over and into the sea. There, the fish ate her flesh away and plucked out her eyes. As she lay under the sea, her skeleton turned over and over in the currents.

One day a fisherman came fishing, well, in truth many came to this bay once. But this fisherman had drifted far from his home place and did not know that the local fisherman stayed away, saying this inlet was haunted.

The fisherman's hook drifted down through the water, and caught of all places, in the bones of Skeleton Woman's rib cage. The fisherman thought, "Oh, now I've really got a big one! Now I really have one!" In his mind he was thinking of how many people this great fish would feed, how long it would last, how long he might be free from the chore of hunting. And as he struggled with this great weight on the end of the hook, the sea was stirred to a thrashing froth, and his kayak bucked and shook, for she who was beneath struggled to disentangle herself. And the more she struggled, the more she tangled in the line. No matter what she did, she was inexorably dragged upward, tugged up by the bones of her own ribs.

The hunter had turned to scoop up his net, so he did not see her bald head rise above the waves, he did not see the little coral creatures glinting in the orbs of her skull, he did not see the crustaceans on her old ivory teeth. When he turned back with his net, her entire body, such as it was, had come to the surface and was hanging from the tip of his kayak by her long front teeth.

"Agh!" cried the man, and his heart fell into his knees, his eyes hid in terror on the back of his head, and his ears blazed bright red. "Agh!" he screamed, and knocked her off the prow with his oar and began paddling like a demon toward shoreline. And not realizing she was tangled in his line, he was frightened all the more for she appeared to stand upon her toes while chasing him all the way to shore. No matter which way he zigged his kayak, she stayed right behind, and her breath rolled over the water in clouds of steam, and her arms flailed out as though to snatch him down into the depths.

"Agh!" he wailed as he ran aground. In one leap he was out of his kayak, clutching his fishing stick and running, and the coral white corpse of skeleton woman, still snagged in the fishing line, bumpety-bumped behind right after him. Over the rocks he ran, and she followed. Over the frozen tundra he ran, and she kept right up. Over the meat laid out to dry he ran, cracking it to pieces as his mukluks bore down.

Throughout it all she kept right up, in fact, she grabbed some of the frozen fish as she was dragged behind. This she began to eat, for she had not gorged in a long, long time. Finally, the man reached his snowhouse and dove right into the tunnel and on hands and knees scrabbled his way into the interior. Panting and sobbing he lay there in the dark, his heart a drum, a mighty drum. Safe at last, oh so safe, yes, safe thank the Gods, Raven, yes, thank Raven, yes, and all bountiful Sedna, safe... at...last.

Imagine when he lit his whale oil lamp, there she - it - lay in a tumble upon his snow floor, one heel over her shoulder, one knee inside her rib cage, one foot over her elbow. He could not say later what it was, perhaps the firelight softened her features, or the fact that he was a lonely man... but a feeling of some kindness came into his breathing, and slowly he reached out his grimy hands and using words softly like a mother to child, began to untangle her from the fishing line. 



"Oh, na, na, na." First he untangled the toes, then the ankles. "Oh, na, na, na." On and on he worked into the night, until dressing her in furs to keep her warm, Skeleton Woman's bones were all in the order a human's should be.

He felt into his leather cuffs for his flint and used some of his hair to light a little more fire. He gazed at her from time to time as he oiled the precious wood of his fishing stick and rewound the gut line. And she in the furs uttered not a word - she did not dare - lest this hunter take her out and throw her down to the rocks and break her bones to pieces utterly.

The man became drowsy, slid under his sleeping skins, and soon was dreaming. And sometimes as humans sleep, you know, a tear escapes from the dreamer's eye; we never know what sort of dream causes this, but we know it is either a dream of sadness or longing. And this is what happened to the man.

Skeleton Woman saw the tear glisten in the firelight and she became suddenly soooo thirsty. She tinkled and clanked and crawled over to the sleeping man and put her mouth to his tear. The single tear was like a river and she drank and drank and drank until her many-years-long thirst was slaked.

While lying beside him, she reached inside the sleeping man and took out his heart, the mighty drum. She sat up and banged on both sides of it: Bom Bomm!.....Bom Bomm!

As she drummed, she began to sing out "Flesh, flesh, flesh! Flesh, Flesh, Flesh!" And the more she sang, the more her body filled out with flesh. She sang for hair and good eyes and nice fat hands. She sang the divide between her legs, and breasts long enough to wrap for warmth, and all the things a woman needs.

And when she was all done, she also sang the sleeping man's clothes off and crept into his bed with him, skin against skin. She returned the great drum, his heart, to his body, and that is how they awakened, wrapped one around the other, tangled from their night, in another way now, a good and lasting way.

The people who cannot remember how she came to her first ill fortune say she and the fisherman went away and were consistently well fed by the creatures she had known in her life under water. The people say that it is true and that is all they know.

8 comments:

  1. C'est une très jolie légende...

    ReplyDelete
    Replies
    1. Merci! C'est super intéressant de voir l'analyse qu'en fait C. Pinkola Estes, ça fait partie des légendes "pour les hommes". en fait toute une partie de son livre traite du fait qu'en tant que créature avec des cycles lunaires, la femme est plus proche du monde naturel, et qu'elle connaît le paradoxe vie/mort puisque le sang qui coule de son corps n'est pas un signe de mort mais un signe de vie, et donc qu'elle a moins peur de la mort. Alors que l'homme ne sait pas tout ça, il est terrifié et la femme doit lui apprendre que c'est un tout, qu'il n'y a pas de vie sans mort et que la mort n'est qu'une étape dans la vie. Bref, j'adore!

      Delete
  2. Wahou! Superbe légende, très bien racontée... Comme quoi les concours, ça oblige parfois à aller "plus loin" que le seul désir de gagner!
    Et dis, tu voudrais pas nous en raconter une par semaine de légende? C'est une bien jolie manière de commencer la journée!!

    ReplyDelete
    Replies
    1. J'vais essayer!! Je ne peux pas prendre sur moi le compliment de "super bien raconté", j'ai pris les textes sur Internet, donc merci l'auteur et le traducteur de "Femmes qui courent avec les Loups" :p

      Delete
  3. Cette histoire est très belle! J'aime beaucoup. Les légendes c'est court sans blabla superflux et extraordinaire! J'aime beaucoup ceux du graal et les contes des 1001 nuits.

    ReplyDelete
    Replies
    1. haha, le blabla fait partie du jeu aussi, mais par écrit ça n'a pas grand intérêt ;) Si j'arrive à trouve le temps de vous en proposer régulièrement, y'aura forcément du Graal à un moment ou à un autre ;)

      Delete
  4. Je ne connaissais pas du tout cette histoire, mais j'ai beaucoup beaucoup aimé! Merci pour le partage <3

    ReplyDelete
    Replies
    1. Je t'en prie, le plaisir du conteur est dans la transmission :)

      Delete

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...