Combien de fois ai-je commencé cet article... combien de brouillons sont planqués dans les profondeurs de Blogger, attendant d'être finis... Alors pour bien commencer l'année, j'me lance! Aujourd'hui, pas de vernis, pas de nail-art, pas de pages supplémentaires dans mon grand livre virtuel, aujourd'hui je m'intéresse au livre lui-même, et en hommage au 122ème anniversaire de la naissance de Tolkien, je vais vous parler d'un sujet qui me fascine... la magie!
Comme dirait Snape, "there will be no wand-waving or silly incantations", rangez le générique de Charmed, les pentagrammes et autres Expelliarmus, il ne s'agit pas de sorts, d'incantations ou de maléfices, non, je vais tenter de vous parler de la vraie magie, et des histoires magiques que sont les contes de fées.
C'est quoi la magie? Dans ma thèse, j'ai dédié une longue partie à cette question, j'ai étudié ce que les Celtes considéraient comme de la magie pour savoir si la magie présente dans les œuvres de Tolkien était comparable. La réponse la plus simple à la question "c'est quoi la magie?" est : tout phénomène surnaturel et inexplicable aux yeux de celui qui l'observe.
C'est le ressort de toutes les fictions qui imaginent qu'une civilisation plus avancée technologiquement fait face à une civilisation plus "primitive" et peut donc accomplir des choses extraordinaires qui seront interprétées comme magiques.
Et c'est aussi ce qui explique qu'on n'y croit plus trop de nos jours, car nous vivons une époque très technologique, où l'on peut voler, parler en direct à quelqu'un depuis l'autre bout de la planète, n'importe quel chirurgien esthétique peut jouer les marraines de Cendrillon et il suffit d'être sélectionné par D&CO pour transformer une masure en palace.
Il semble donc logique que la magie et les contes de fées soient devenus des choses mignonnettes réservées aux enfants. C'est bien connu, Walt Disney et Harry Potter, c'est pour les gosses, et il y a que les ados attardés qui sont fans de Tolkien et CS Lewis... n'est-ce pas? ;)
C'est une question qui m'a toujours fascinée, et c'est en grande partie la raison pour laquelle j'ai voulu étudier Tolkien: qu'est-ce qui fait que depuis des siècles, les légendes et contes de
fées nous attirent, et ce même dans une époque où beaucoup de nos gestes
quotidiens seraient magiques aux yeux de nos ancêtres? C'est quoi la
magie, c'est quoi la féerie? Pourquoi est-ce que depuis des siècles,
nous racontons et transmettons des contes de fées, alors même que la
société change, qu'il est de bon ton de cracher sur les histoires de
princesses et que la science et la raison gouvernent nos vies?
La réponse à cette question se trouve dans un essai fascinant, écrit par le brillant JRR Tolkien et qui s'intitule "On Fairy-Stories" (dispo en français dans
Faërie). Tolkien se pose la question de ce qui définit un conte de fées, mais également de "à quoi ça sert?". La réponse tient en trois mots: Rétablissement, Evasion, Consolation. J'vous explique!
Nous vivons dans une époque de désillusion et cynisme, qui semblent être les corollaires obligatoires des découvertes scientifiques. On a depuis longtemps rempli les blancs sur les cartes et là où il était auparavant écrit "here, there be monsters, dragons and unicorns", on sait bien que c'est juste la banquise et les pingouins. Exit Thor ou Jupiter, on peut expliquer le tonnerre et les éclairs, et avec un GPS, impossible de se perdre dans les bois, même au fin fond de Brocéliande. Il est facile de croire que nous vivons dans un monde limité, connu, familier et ennuyeux et que la création et l'innovation sont devenues impossibles.
Nous avons besoin de Rétablissement, nous devons "regarder le vert et être émerveillé à nouveau [...] par le bleu, le jaune et le rouge. Regardant le dragon et le centaure, nous pourrons alors peut-être voir les moutons, les chiens, les chevaux et les loups par les yeux des bergers d'antan". C'est ce que Tolkien appelle la magie Mooreeffoc, ou Tnaruatser. Ces mots semblent fantastiques, cependant Tolkien pouvait lire Mooreeffoc partout autour de lui, et vous pouvez voir Tnaruatser partout autour de vous. Ce sont simplement les mots Coffeeroom et Restaurant vus à l'envers, car souvent, il suffit de changer de point de vue pour rendre l'ordinaire magique. Les contes de fées et histoires fantastiques aident à cela en insufflant de la magie dans le quotidien, comme le prouve le groupe Facebook "Si toi aussi tu te caches dans les armoires chez Ikéa pour crier "Bienvenue à Narnia" dès que quelqu'un ouvre la porte". J'ai dans ma rue une boulangerie et depuis quatre ans, je n'ai jamais pu comprendre ses horaires d'ouverture. Et la seule fois où j'y suis entrée, ils avaient l'air assez surpris que je leur demande une baguette et deux croissants. Ça fait bien longtemps que j'ai compris que cette boulangerie était un accès au Ministère de la Magie...
L'Evasion est quant à elle facile à comprendre: n'importe qui ayant déjà ouvert un livre sait bien que c'est une porte pour sortir de notre quotidien, et cela est encore plus vrai pour les histoires fantastiques, elles nous permettent de nous échapper de la réalité. C'est d'ailleurs en grande partie ce qu'on leur reproche quand on les méprise comme n'étant pas adaptées aux adultes: quand on est grand, on ne cherche pas à s'échapper du réel, on fait face à ses responsabilités voyons! A cela, Tolkien répond qu'il ne faut pas confondre l'évasion du prisonnier et la fuite du déserteur: "Pourquoi devrait-on mépriser l'homme qui, se trouvant en prison, tente de s'échapper pour rentrer chez lui? Ou, s'il ne peut le faire, pense et parle d'autre chose que de murs et de geôliers?" Mépriser et dédaigner l'évasion est le meilleur moyen de contrôler les esprits car si l'on ne voit pas plus loin que ce qu'on a sous les yeux, si l'on s'interdit de penser et imaginer au-delà de nos sens, comment peut-on critiquer, refuser, s'indigner, être en colère et se révolter face aux choses qui nous entourent?
Et à la possibilité d'Evasion, les contes de fées apportent la Consolation de la fin heureuse. Et oui, vous avez bien lu, c'est bien là la raison d'être du "et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Non, la leçon des contes de fées n'est pas que le bonheur ultime est de se marier et d'avoir des enfants, c'est simplement que les rêves du personnage principal se réalisent, que tout se finit selon ses désirs, que la fin heureuse est possible. Comme l'a dit GK Chesterton: "Fairy tales do not tell children the dragons exist.
Children already know that dragons exist. Fairy tales tell children the
dragons can be killed" ("Les contes de fées ne sont pas là pour dire aux enfants que les dragons existent. Les enfants savent déjà que les dragons existent. Les contes de fées sont là pour dire aux enfants qu'il est possible de tuer un dragon"). Une fois qu'on a jeté un œil critique sur ce qui nous entoure, si l'on croit possible de l'améliorer, il ne tient qu'à nous de le faire.
Rétablissement, Evasion et Consolation, voilà la formule magique des contes de fées, voilà pourquoi ils continuent d'être transmis de génération en génération malgré la révolution scientifique, malgré la prévalence de la raison, voilà l'explication du succès de Tolkien, Lewis, Rowling...
Einstein a dit que l'imagination était plus importante que le savoir, car le savoir se limite à ce que l'on sait et comprend, alors que l'imagination englobe tout ce qui existe en ce monde, tout ce qu'il est possible de savoir et de comprendre. L'imagination est essentielle à toute avancée, tous les scientifiques le savent. Mais dans notre âge de consumérisme et de cynisme, qui veut nous faire croire que le bonheur est dans une crème amincissante ou une nouvelle voiture, on a tendance à oublier que l'essentiel est ailleurs et que surtout, il n'y a pas de limites à ce qu'on peut rêver et accomplir.
Et oui, je pouvais difficilement vous parler de contes de fées sans évoquer un autre grand maître du genre, l'oncle Walt, qui a contribué à perpétuer la magie des contes, en changeant de mode de transmission mais sans rien enlever à leur force et à leur message. Nous convaincre que l'on peut voir au-delà de ce qui est sous nos yeux et rendre cette vision possible en y croyant coûte que coûte et en n'abandonnant jamais. Rendre réel ce que d'autres ne peuvent voir ni croire, c'est bien ça la magie, non?
Il ne s'agit pas de naïveté ou de guimauve, de se mettre à la fenêtre, d'appeler la fée bleue et d'attendre que tout se réalise, ou d'espérer que Brad Pitt va sonner à la porte pour nous déclarer sa flamme. C'est une démarche qui vient de soi, qui met l'entière responsabilité de notre vie entre nos mains, et c'est à la fois excitant et terrifiant, car si les choses finissent mal, on ne peut s'en prendre qu'à soi-même. Oui, il y a des obstacles, non, tout ne va pas bien se passer du premier coup, et c'est là qu'il faudra serrer les dents et dire "j'y crois toujours". Ça a l'air bête et super gnangnan dit comme ça, je sais, mais je ne parle que de ce que je connais, par l'expérience d'une vie compliquée avec des moments très difficiles et d'immenses victoires. Je n'ai que 35 ans, et j'ai déjà vécu des choses plus extraordinaires que ce que j'aurais cru possible il y a 20 ans, et pourtant j'avais déjà beaucoup d'imagination à l'époque!
C'est le début de l'année, le moment où traditionnellement on prend de bonnes résolutions et où l'on souhaite le meilleur à ceux qui nous entourent. Alors perso, je vous souhaite une année pleine de magie, courez vous replonger avidement dans les contes de votre enfance, enchantez votre quotidien en vous disant à chaque fois que vous verrez un lampadaire "où est le faune? où est Mr. Tumnus?" pour ne jamais vous résigner quand le monde est désespérant, et de ne jamais abandonner l'idée de la fin heureuse...
Bonne Année
